Yoone Wi

Magal 1964 : Discours de Serigne Fallou

 Considérant le Mouridisme comme un phénomène éphémère et son Fondateur comme un homme extrêmement malin exploitant la crédulité africaine, les colonisateurs en vinrent à penser que la déportation d’Ahmadou Bamba en un lieu inconnu et éloigné du Sénégal, d’où il avait de fortes chances de ne plus revenir, était la solution idéale pour anéantir le Mouridisme naissant. Malheureusement pour eux, heureusement pour nous, la confrérie se propagea pendant l’absence de son Fondateur avec une rapidité et une ampleur qu’elle n’avait pas connues en sa présence. Dans les textes de tous genres écrits par Ahmadou Bamba, on passe toujours sous silence la volonté manifeste des colonisateurs de supprimer physiquement Ahmadou Bamba. Evidemment on ne retrouve l’expression patente de cette volonté dans aucune partie de l’abondante littérature coloniale consacrée à Ahmadou Bamba. Mais quant on lit attentivement les correspondances échangées entre les différents responsables administratifs de la colonie(qui semblaient passer le plus clair de leur temps à épier les moindres faits et geste d’Ahmadou Bamba) on voit poindre cette intention entre les lignes. Ainsi, après avoir constaté que l’influence d’Ahmadou Bamba croissait sans cesse depuis son retour d’exil, le commandant de cercle de Thies, dans un rapport du 14 Mai 1903, suggérait au gouverneur du Sénégal de lui « envoyer Ahmadou Bamba à Saint Louis d’où il ne devrait plus revenir ». Ce qui est clair. Quand on sait la nécessité qu’il y’avait pour les colonisateurs de discipliner les masses nouvellement conquises par des gestes répressifs brutaux et spectaculaires, on reconnaîtra mieux l’étonnante protection qui enveloppait Ahmadou Bamba et qui l’a préservé de ces nombreuses et machiavéliques machinations dont il fut continuellement l’objet. N’ayant pas réussi à décapiter le Mouridisme par la liquidation physique de son Guide, les colonisateurs pensèrent l’étrangler par l’éloignement de son Chef qui, continuant à être isoler de ses fidèles, devrait fatalement finir par composer avec les nouveaux maîtres. En raison des difficultés de communication avec le Sénégal et pour diverses autres considérations, la Mauritanie fut choisie. Il fut donc emmené en résidence obligatoire dans ce pays où il passera 4 ans. Les colonisateurs crurent alors qu’Ahmadou Bamba, enlevé à la vénération de ces foules, allait devenir plus docile et les disciples, encore privé de leur Maître, allaient perdre leur foi. L’inexistence de moyens de transport rendait à ce moment pratiquement impossible tout contact entre les deux territoires, ce qui rassura beaucoup les colonisateurs. Il ne leur fallut pas attendre longtemps pour déchanter. En effet, en Mauritanie se révéla si accessible aux Mourides qui s’y rendaient à pied au terme de marches héroïques qu’il fut décidé de ramener Ahmadou Bamba au Sénégal. Ici aussi, de résidence forcée à résidence surveillée, il fut toujours en internement plus ou moins apparent jusqu’à sa disparition en 1927. Ainsi, pendant 33 ans de sa vie, Ahmadou Bamba fut en captivité, entre les mains de geôliers puissants et redoutables qui n’ont cependant pas réussi à entamer sa Foi et sa détermination. Nous répétons qu’il n’est pas possible de parler objectivement d’Ahmadou Bamba sans stigmatiser le colonialisme, mais que nous le faisons sans amertume. Si Ahmadou Bamba a été continuellement persécuté par les colonisateurs durant toute sa vie, c’est parce que c’était la volonté de Dieu.
Cela a été d’ailleurs plus un bien qu’un mal. Car, aussi paradoxal que cela puisse paraître, les colonisateurs ont rendu service à Ahmadou Bamba sans le savoir. Car, en le déportant et en lui faisant subir tous les supplices, ils ne faisaient qu’exaucer le vœu qu’Ahmadou Bamba avait fait de pouvoir, dans une épreuve d’endurance inhumaine, et dans une solitude complète, donner la mesure de sa Foi en Dieu et de son attachement au Prophète. On peut donc dire valablement que cette étape de sa vie, si pénible qu’elle fut, a été nécessaire puisqu’elle a permis à Ahmadou Bamba et à sa confrérie d’avoir le rayonnement qui est le leur. Nous avons toujours dit que, pour nous, Ahmadou Bamba, tel qu’il apparaît à la lumière de ce bref récit, déborde largement le cadre étroit du Mouridisme pour embrasser celui de l’Islam africain tout entier. Nous pensons que c’est une fierté légitime pour le Sénégal d’avoir un tel homme qui, sur le plan culturel, fait honneur à l’Afrique noire. S’il existe un Ordre de << Héros de l’Afrique >> , il n’est pas exagéré de dire qu’il serait décerné à Ahmadou Bamba. Quant à vous, chers Mourides, vous devinez sûrement la joie et la fierté que nous éprouvons à vous voir, plus nombreux, plus enthousiastes et plus disciplinés, rassemblés autour du sanctuaire de notre vénéré Maître spirituel. Vous venez encore, par ce geste et par l’étendue des sacrifices qu’il vous a coûtés, de prouver l’indéfectibilité de votre attachement à sa mémoire et la solidité de votre foi en son enseignement. Les recommandations qu’Il nous a léguées, et que je vous rappelle, sont l’observance des principes Islamiques, l’amour du prochain, l’esprit de solidarité et d’entraide, le culte de la fraternité humaine, le respect des institutions en place et des règlements en vigueur, l’honnêteté et la probité, etc…
Mais, à ces obligations religieuses, s’ajoutent d’autres. En effet, vous faites partie d’un grand et noble peuple: le peuple sénégalais; nous dirions même que vous en êtes une des composantes les plus sûres, les plus constantes. Par votre sérieux, par votre civisme, par votre patriotisme, par votre labeur, par vos efforts inlassables de tous les jours dans la voie du développement, insufflez à ce peuple le dynamisme et l’énergie qui vous caractérisent. Après avoir été parmi les plus grands artisans de l’Indépendance nationale, devenez les plus grands pionniers de l’essor économique du pays. Ainsi, vous resterez fidèles à l’enseignement de votre Maître et à la légende populaire du Mouride: ouvrier infatigable du Bien et de l’Ordre. Si nous vous parlons ainsi, c’est parce que nous voulons placer ce pèlerinage sous le signe du Travail. A notre époque, vu les besoins nouveaux de l’existence, devenus presque des nécessités, seul le travail accru peut permettre à chacun d’entre nous de résoudre ses propres problèmes et, par là-même, de contribuer tant soit peu à la solution des problèmes nationaux. Quand nous parlons de travail, nous entendons par là l’accroissement sensible de la production de chacun dans le secteur professionnel qui est le sien. Cela suppose, évidemment, de plus grands efforts, de votre part d’un côté, et une plus grande aide des Pouvoirs publics de l’autre. Je suis sûr de pouvoir compter sur ces derniers pour vous donner l’aide et l’assistance nécessaires. Ainsi dans l’unité et la cohésion, de notre peuple, nous arriverons à faire du Sénégal un pays heureux et prospère. Ce culte du travail auquel nous vous convions, a été chanté par notre guide Ahmadou Bamba qui a dit et écrit qu’il faut  » avoir le corps et l’esprit toujours occupés « . Joignant le geste à la parole, il ne se reposait jamais et partageait son temps entre la prière, la lecture, la méditation, la composition de ces œuvres ou les cours de théologie. La notion de productivité, qui est l’expression du travail poussé à son paroxysme est maintenant le leitmotiv des dirigeants de tous les pays du monde, quels que soient leurs régimes.
Ceci prouve qu’Ahmadou Bamba avait raison quant il mettait l’accent sur le travail. En venant à Touba, vous n’avez pas manqué de remarquer des transformations notables dans le domaine des voies d’accès menant à votre foyer spirituel, tels que l’élargissement de la route Touba-Thies( qui se poursuit ) la route bitumée Touba-Darou Mousty-Kébémer vers Saint-Louis, la route Touba-Dahra, etc… Ainsi Touba, par les efforts constants du gouvernement et Mbacké, par les soins de notre député-maire Doudou Thiam, seront de plus en plus en mesure de vous accueillir en de pareilles circonstances. En votre nom, nous remercions notre grand et cher ami le président Senghor, pour ces réalisations présentes et futures, qui sont à l’actif de son gouvernement. Nous remercions les offices ou services qui ont fidèlement exécuté la volonté du gouvernement en nous apportant leur précieuse assistance, tels la Régie des Chemins de Fer, le Service d’Ordre sous la direction du dynamique capitaine Niang, les Services de Santé et d’Hygiène sous la direction du médecin Lamine Fall, la Régie des Transports, Radio-Sénégal, le corps des Sapeurs-Pompiers, l’Armée sénégalaise, la Croix-Rouge, etc… Nous remercions d’une manière particulière le nouveau gouverneur de la région de Diourbel M. Lamine Lô( successeur du sympathique Médoune Fall qui nous laisse un agréable souvenir ) et que nous sommes heureux d’accueillir parmi nous et le préfet du département de Mbacké, El Hadji Boubacar Sy, dont la contribution a été très remarquée. Monsieur le Chef de l’Etat, Mesdames et Messieurs, nous déclarons clos le pèlerinage 1964. Nous vous donnons rendez-vous à l’année prochaine et souhaitons que le Tout-Puissant nous garde et nous accorde un bon hivernage.  
SOURCE : Journal Dakar-Matin du 4 Juillet 1964Khadimrassoul.net
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