Le Cheikh avait toujours maintenu une belle conduite à l’égard de son père. Celui-ci lui confia la plupart des charges relatives à l’enseignement, la rédaction des documents et des réponses. Pendant l’enseignement, la rédaction des documents et des recommandations et la composition de poèmes d’intercession (Il s’agit d’odes dans lesquelles il implore l’intercession du Prophète auprès de Dieu pour élever son rang), apparaissaient les signes précurseurs trahissant la lumière incommensurable qui se cachait dans ce grand homme comme le feu se cache dans le briquet (Il s’agit d’un briquet consistant en deux morceaux d’une espèce de bois qui, frottés l’un contre l’autre, donnent du feu).
Les yeux commencèrent à le regarder d’une nouvelle manière. Les cœurs se penchèrent vers lui et les âmes se soumirent à lui. Les disciples, qui ne lui venaient auparavant que de son père, l’envahirent spontanément, et les rois et princes, qui avaient fait de son père leur protecteur, commencèrent à s’intéresser à lui et à solliciter auprès de lui ce qu’ils obtenaient de son père. Mais il ne les attendait pas, et ne les recevait que sur l’ordre de son père, et même dans ce cas, il obéissait à contrecœur.
Ce comportement à l’égard des chefs temporels fut la plus étrange chose à son époque. Les gens s’entretenaient secrètement du peu d’intérêt qu’il accordait aux princes et de sa répugnance à leur égard. Certains disaient : « Peut-être est-il fou » ? et d’autres affirmaient : « C’est un sot ; implorons le pardon pour lui ». Mais sa force et la perfection de sa droiture ne tardèrent pas à se révéler et à les persuader qu’il avait été donné à cet homme ce qui n’avait été donné à personne, et que les signes de la sainteté étaient sur lui évidents. C’est pourquoi ils le vénéraient plus que son père et les savants de son époque, malgré sa jeunesse.
Il me raconta une fois que le roi Samba Laobé qui fut – comme je l’ai déjà dit – le dernier souverain du Cayor, vint un jour chez son père, s’assit avec lui sur son lit et lui demanda d’appeler le Cheikh. Le cheikh père le fit venir et lui dit : « Samba Laobé veut que tu partes avec lui afin qu’il te fasse son cheikh comme je fus avec son oncle Lat-Dior ».
« Je lui dis, rappela-t-il, attendons qu’il sorte de chez vous. Ensuite, je suis retourné à ma chambre dans l’école ». Il était alors enseignant comme vous l’avez déjà vu.
Quand le monarque sortit de chez son père, il passa près du Cheikh alors que, assis sur une natte placée à l’ombre de sa chambre, il faisait ses ablutions. Lorsqu’il s’aperçut de la présence du roi, il s’écarta de la natte et la lui étendit par politesse afin qu’il s’y assît. Mais le souverain refusa (par vénération) de s’asseoir sur la natte et s’assit par terre. Il ressentait la puissance de la piété et l’autorité de la sainteté.
Notre Cheikh m’a dit que, lorsque le roi réitéra sa demande de partir avec lui, comme le cheikh père l’avait proposé à sa maison, il lui répondit : « Il ne m’est pas possible de partir et de laisser ces disciples qui sont venus apprendre les préceptes de la Religion. Loin de moi cette idée ! – Alors le souverain se résigna, dit-il. – Mais le roi dit : S’il en est ainsi, je vous offre ce généreux cheval. – Je l’acceptai, dit-il, par politesse, et attendis qu’il partît. Comme il était accompagné de trois Musulmans dont chacun lui réclamait une dette de cent francs, je les retins, ordonnai qu’on vendît le cheval à trois cent francs et divisai cette somme entre eux. Ils repartirent tous reconnaissants. Et le roi ne s’est pas rendu compte de mon geste jusqu’à aujourd’hui ».
Extrait Minanoul Bakhil Khadim
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