Vivre dans la solitude constituait une de ses bonnes pratiques. En effet, par scrupule, il évitait parfois le commerce charnel avec les hommes tout comme il évitait les œuvres juridiquement douteuses pour se consacrer à ses préoccupations spirituelles : son culte. Pourtant son isolement n’était point celui d’un méchant qui se méfie de ses frères ni celui de l’avare qui s’éloigne de ses proches. Au contraire, il était celui d’un homme qui s’informait le plus fréquemment de la situation des membres de sa famille et de ses proches en particulier et de tous les musulmans en général. Il ne mangeait pas seul et ne refusait ses dons à personne, bien que retiré pour mieux observer le culte de son Seigneur. In ne ménageait personne et ne se querellaient avec personne, son unique désir et son seul objectif étant l’agrément de Dieu Très-Haut Dont le nom est béni. C’est pour lui qu’il aimait ou détestait, s’emportait ou se contentait.
Il ne se joignait à personne dans une affaire sauf quand il s’agissait d’une entreprise d’utilité religieuse. De même il ne ménageait ni ennemi, ni ami, ni fort ni faible sauf quand cela était nécessaire pour satisfaire le Seigneur Puissant et Majestueux. Tous ceux qui le connaissaient : amis et adversaires attestent cela.
Sa vie retirée était donc doublée d’une vie sociale, sa retraite n’étant pas une rupture avec les hommes. Sa force était doublée de mansuétude comme sa mansuétude s’appuyait sur sa force. Sans sa mansuétude et sa force, il n’aurait pas été, durant sa vie, l’homme le plus utile pour ses contemporains et un signe de vérité pour ses coreligionnaires. Il fut le refuge : celui auprès de qui l’on cherche secourt en temps de crise et au moment des grandes inquiétudes. Ses dons s’étendaient aussi bien aux sédentaires qu’aux nomades. Il fut le printemps et la pluie fécondante non seulement pour ceux qui sollicitaient ses biens mais aussi pour les habitants des contrées voisines, et ce à côté des faveurs et du surplus de baraka que le Seigneur prodiguait aux hommes grâce à ses prières. D’où il ne se produisit durant sa vie ni au Sénégal ni dans le monde entier une grande crise semblable à ce qui s’est passé après lui…
L’on se bousculait devant sa porte nuit et jour. La distribution permanente de ses présents et dons est trop célèbre pour qu’on la cite, trop importante et fréquente pour qu’on en fasse la description. Son chantre Ibrahima DIOP dit : « Pour leur espoir, vous voyez les hommes arriver chez lui en foule tels des fidèles qui affluent vers la Mecque le jour du grand pèlerinage. »
Et Cheikh Sidiya dit :
« Souvent, un groupe de voyageurs semblables (en importance) aux pointes de lances (portées des combattants) montés « des chameaux blancs traversant un désert aussi vaste que le ciel se dirigeaient vers lui dans la recherche d’une parfaite satisfaction de leurs besoins et tout sûrs de l’obtenir dès l’arrivée à sa cour.
Quant un jour sa main recevait des quintaux, les besogneux se les partageaient dès leurs réceptions »
Plus loin il dit :
« Son seul défaut, c’était son dévouement au culte de son seigneur et son souci constant d’être utile aux hommes ».
Ce dernier vers du Cheikh SIDIYA constitue le mot décisif aux sujet de notre cheikh (que dieu soit satisfait de lui et de nous grâce à lui). En effet, son dévouement aux cultes l’a arraché aux parents et aux amis. A ce propos, il dit : «mon amour pour l’élu, notre seigneur, supplante mon amour des biens, des parents et des enfants ».
D’après un hadith authentique, le prophète a dit : « nul ne croira vraiment tant qu’il ne m’aimera pas plus que ses enfants son pères ainsi que tous les hommes ». C’est à ce stade d’amour pour le prophète que l’on éprouve la douceur de la foi.
Par ailleurs, la vie retirée d’un homme qui n’envisageait une affaire temporelle que pour un motif religieux ?
La vie retirée préconisée par les parfaits consiste dans un renoncement total à tout, à toute l’existence créaturelle pour se consacrer à Dieu Très-Haut dont le nom est béni. Ainsi l’on devient un sincère serviteur de Dieu que la jalousie divine al-Ghayra cache dans un rempart sûr. « Tu (le diable) n’as aucun pouvoir sur Mes serviteurs (privilégiés) » (17/65).
Une des preuves de son atteinte de cette sincérité est qu’il ne se réunissait aux hommes que pour une cause religieuse ou naturelle (ordinaire) que la bonne intension transformait en une cause religieuse. Car l’intention est la pierre philosophique des actions. « Les actions sont fonctions des intentions. Chacun sera récompensée selon ses intentions ».
Dans sa jeunesse, le Cheikh avait, comme nous l’avons répété à maintes reprises, l’habitude de répugner à la compagnie des enfants et évitait leur fréquentation. Il préférait se retirer en emportant son tablette lawh ou joindre l’assemblée des Cheikhs où il se plaçait de façon à pouvoir les écouter. L’assemblée de son père fut (en particulier) un lieu d’enseignement.
Le Cheikh ne cessa de se conduire de cette manière jusqu’à ce qu’il grandît, devînt indépendant et construisît ses propres maisons. Dans chacune de celle-ci, il aménagea un lieu de retraite où il se réfugiait. Par retraite je n’entends pas une chambre obscure dont les fenêtres sont bouchées et les portes hermétiquement fermées, mais j’entends plutôt son sens le plus général ou le plus restreint, si vous voulez, à savoir que le Cheikh a libéré son âme de tout ce qui ne l’intéressait pas et a habitué ses compagnons de n’aller le voir que pour une affaire importante. C’est ainsi qu’il a extirpé les racines du bavardage et de la curiosité et les a effacées de son assemblée et s’est consacré à ce qui l’intéressait et renvoyait tout individu voulant autre chose que cela. C’est pourquoi ceux qui le rejoignaient pour mettre fin à leur solitude éprouvaient quelques fois en dépit de sa compagnie davantage de solitude.
« Nous allâmes le voir un jour en compagnie du cheikh Balla Fali » raconte Serigne Bassirou . Il résidait alors dans son village situé à Diourbel, qui regorgeait d’habitants et de visiteurs et était animé de toutes sortes de mouvements et d’activités au point qu’il fut contraint d’aménager des fenêtres à travers lesquelles il communiquait avec les gens pour éviter qu’ils ne se précipitassent sur lui comme des papillons. En effet, par crainte des dégâts une barrière métallique le séparait des gens. Un grillage fut installé autour de sa maison.
Une fois nous sommes allés lui rendre visite pour écouter ses prônes et chercher de sa baraka. Il nous a demandé le premier : « que font les gens ? N’ont-ils pas cessé d’affluer (vers la maison) et de se bousculer ?
La situation est même plus grave, avons-nous répondu.
Ils sont dans une vallée alors que je me trouve dans une autre (toute lointaine) : je me sens comme si j’étais dans un lieu désertique, un lieu où je ne sente rien et ne m’intéresse à rien sauf mes rapports avec mon seigneur ».
Quoiqu’il en soit, celui qui a la moindre connaissance de sa vie ne doute point qu’il a pratiqué la patience dans ses quatre sens dont parle Al-Raghib qui dit que les significations de la patience varient selon ses conséquences : s’il s’agit de supporter le malheur, on l’appel patience tout court ; s’il s’agit de persévérer dans un combat livré à un ennemi, on l’appel bravoure ; s’il s’agit de se garder de certaines paroles, on l’appel discrétion, s’il s’agit enfin de s’abstenir de choses prohibés, on l’appel scrupule.
Si vous êtes de ceux qui ne l’ont ni fréquenté ni même rencontré, vous pouvez vous contenter de ce que vous avez déjà lu dans ce livre en fait de témoignages rapportés par des témoins sûrs.
Pourtant ce que je vous décris sur ces pages ne constitue qu’une minime partie de que nous savons de sa résistance aux calamités et de sa persévérance à la rencontre des ennemis et pendant son séjour avec eux, et de son abstention des pratiques interdites, abstention dictée par son caractère exemplairement scrupuleux…
Pour ce qui est de sa discrétion, il suffit d’apporter ce témoignage combien noble qui réside dans le fait que, en dépit de la diversité, des besoins de ses visiteurs et de l’importance excessive de leur nombre et de la succession perpétuelle de leurs délégations et de la diversité des tendances de leurs fréquentes classes : jeunes, vieux, forts, amis, ennemis, hommes et femmes (en dépit de tout cela), il n’informait personne d’entre eux du secret d’autrui. Cette qualité avait fait que, par confiance dans son honnêteté et dans ses conseils, aucun visiteur ne lui cachait son secret, que celui-ci fût de nature à plaire ou non.
Par ailleurs, il m’a raconté poursuit Serigne Bassirou que pendant son séjour à l’Île (de Mayombé), il était le dépositaire des secrets des agents de l’administration coloniale bien qu’il fût alors opprimé par eux-mêmes.
A mon âge de maturité, les représentants à Diourbel de l’administration coloniale ne lui cachaient rien de ce qui se passait entre eux et le gouverneur général ! Pourtant il était sûrement malhonnête de leur part de lui révéler ces secrets !
Par ailleurs, même le gouverneur du Gabon, son ennemi irréductible, lui a demandé à l’occasion d’un voyage de veiller sur ses enfants et sa femmes et donné à celle-ci l’ordre de suivre les conseils et les ordres du Cheikh. Pour sa fidélité à ses promesses faites à un ami ou à un ennemi, le Cheikh, à chaque fois que la femme venait le voir, lui disait tout en évitant de la regarder par pudeur : « ne commettez plus aucune des fautes que vous commettiez en la présence de votre mari. Evitez surtout de le trahir dans une affaire quelconque ». Ensuite, il lui jetait ci qui lui était présent en fait de choses dont elle avait besoin. Vous pouvez comparer toutes ses autres qualités à cette honnêteté… Et que dire de sa conduite à l’égard de ses amis notamment sa fidélité si, même avec son ennemi, il se comportait de cette manière ?
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