Netali Borom Ndame

Cheikh Ahmadou Bamba : une supériorité multidimensionnelle(Suite et fin)

D’autre part, inquiétés par la nouvelle force que représentaient la France, Lat-Dior et Samba Laobé, les derniers maîtres du Cayor avant l’occupation française, ne se préoccupaient plus de lui.

Après la rupture de son alliance avec les français, Lat-Dior, accompagné de ses partisans, de ses esclaves et des membres de sa famille, s’était rendu au Saloum une deuxième fois. Ils y demeurèrent quelque temps. Mais de tous les habitants de ce contrée, Sa’îd BA, fils de son Cheikh et son imâm, Maba, fut le seul qui s’entendit avec eux. Certains natifs du Saloum et des partisans de son père Maba, originaire des provinces conquises par ce dernier, lui avait prêté serment de fidélité. Mais d’autres s’étaient écartés de lui. Parmi ceux-ci figurait Barane CISSE, disciple de son père, qui fut un de ceux qui connaissaient le mieux la province. Ce Barane CISSE, de surcroît avait amené la plupart des habitants du Saloum à abandonner Sa’îd. Les groupes d’émigrés dont Dieu seul savait le nombre, restèrent cependant fidèle à Sa’îd.

Quant à Lat-Dior et sa suite, qui ne s’entendaient qu’avec Barane, ils furent troublés dans cette terre hostile où ils menaient une vie misérable qui contrastait avec l’aisance à laquelle ils avaient été accoutumés. L’insécurité dans laquelle se trouvait le nombre considérable des partisans de Lat-Dior le mettait dans l’obligation de se réconcilier avec les habitants du Saloum ou de s’en aller. Les dissensions ne tardèrent pas à éclater entre les soldats qui lui réclamèrent le retour au Cayor pour faire la guerre ou la paix avec la France. Il s’y refusa pour une raison ou une autre.

Ainsi les soldats se révoltèrent-ils contre le Damel avec la complicité de Samba Laobé, neveu de Lat-Dior. Ensuite, ils rentrèrent au Cayor, et firent la paix avec la France qui, par la suite investit Samba Laobé du gouvernement de la province.

Son oncle resta au Saloum jusqu’à cette contrée ne lui convînt plus. Il retourna alors au Cayor. Mais la France refusa qu’il entrât dans la province. Aussi errait-il sans but précis en cherchant les moyens de reconquérir son trône. Tantôt il se rendit au Jolof, tantôt il s’installa dans une localité retirée située entre le Jolof et le Cayor. Il retrouva sa lucidité après avoir vécu de terribles soucis et avoir été abandonné par son entourage et ses esclaves qui avaient rejoins son neveu Samba Laobé et étaient devenus les alliés de la France.

Lat-Dior était le seul qui disputait le pays. Mais ses ailes étaient brisées. Ainsi errait-il en compagnie avec certains des nobles membres de sa famille et d’un petit nombre de ceux que la noblesse et le souvenir du passé avaient asservis.

Il songea aux personnalités musulmanes et aux chefs traditionnels. Mais il ne trouva parmi eux personne qui fût dépourvu de défauts, exempt de sentiments partisans, de flatterie et du désir du pouvoir temporel, hormis Cheikh Ahmadou Bamba. C’est pourquoi il se rendit auprès de lui pour le consulter et se plaindre de l’attitude à son égard des membres de sa famille en particulier et de celle de ses sujets en général.

Lat-Dior voulait savoir si Cheikh Ahmadou Bamba estimait qu’il convenait d’émigrer dans des pays lointains afin d’y chercher des forces lui permettant de reconquérir son trône, ou s’il était préférable d’inciter les Cayoriens de l’aider par tous les moyens disponibles à combattre ses nombreux adversaires. Cheikh Ahmadou Bamba qui jouissait de la confiance de tous, les amis comme les ennemis, lui dit : « Pour mieux dominer ce monde et ses hommes, je ne trouve pas de meilleurs solutions que de lui tourner le dos. Tu laisseras ainsi aux nouveaux maîtres du pays (les français) le soin de le gouverner, car ils semblent si forts que rien ne peu les résister, à moins que Dieu ne le veuille. Je suis sûr que si tu parvenais à te libérer de tes soldats, à t’éloigner de tes armes et de tes chevaux, tu retrouverais en compensation quelque chose de meilleur et tu connaîtrais la tranquillité comme ton frère Mukhtar DIOP.

Ce Mukhtar DIOP fut parmi les premiers à se convertir à l’Islam entre les mains de Cheikh Ahmadou Bamba qu’il avait vu chez Lat-Dior où il avait été envoyé par Mame Mor Anta Saly, car il n’allait jamais les voir pour ses affaires personnelles. A propos de cette rencontre, Mukhtar DIOP dit : « Quand j’ai vu Cheikh Ahmadou Bamba et que je me suis rendu compte qu’il était tout concentré dans la récitation et l’observance du culte sans lever le regard, j’ai été pénétré par un inexprimable sentiment d’amour et de vénération à son égard. Du moment que je l’ai regardé, l’Islam est revenu dans mon cœur et j’ai été distrait de tout ce qui me préoccupait. Intelligent comme il était mon frère Lat-Dior s’en est aperçu et s’est mis à m’observer discrètement durant le temps que Cheikh Ahmadou Bamba jouissait de notre hospitalité.mon état spirituel s’est renforcé et mon cœur a été rempli de son affection. Je me rapprochais de lui et préférais sa compagnie. Mon frère Lat-Dior finit par me comprendre. M’ayant trouvait attristé et soucieux après le retour de Cheikh Ahmadou Bamba à son village, Lat-Dior, souriant, me dit : « Ô Mukhtar DIOP ! Je crains que Cheikh Ahmadou Bamba ne t’ait ravi ! Par Dieu, oui ! Lui répondis-je. Si tu veux, reprit-il, tu peux le rejoindre. » Comme débarrassé d’une entrave, je me suis rendu immédiatement auprès de lui, pour me convertir à l’Islam entre ses mains. Depuis, je me suis affilié à son ordre. »

Revenons à la conversation de Lat-Dior avec Cheikh Ahmadou Bamba. Lorsqu’il lui dit : « ….si tu parvenais à te libérer de tes soldats, à t’éloigner de tes armes et de tes chevaux, tu serais débarrassé des soucis du monde et des hommes… » Lat-Dior lui répondit : « Ce que vous avez dit est vrai, et je suis convaincu que c’est le meilleur. Mais il est difficile à un homme come moi de renoncer totalement aux choses de ce monde. Cependant mon cœur s’est détourné de tout ce à quoi je songeais et mon esprit de trouver ce que je cherchais s’est évanoui devant vos conseils. Maintenant je ne vous demanderai qu’une chose qui me serait utile auprès de mon Seigneur au jour du Jugement dernier et intercéderait en ma faveur auprès de Lui : apprenez-moi une invocation ou prière qui me soit utile dans ma tombe et donnez-moi un de vos propres vêtements afin que j’en sois enveloppé après ma mort et ne m’oubliez pas dans vos meilleures prières. »

Cheikh Ahmadou Bamba lui ordonna d’apprendre par cœur une prière consistant en une demande de pardon qu’il avait arrangée et lui donna un de ses vêtements et lui fit ses adieux. A peine deux semaines se furent écoulées, qu’il fut attaqué par un contingent de l’armée coloniale dépêché à sa recherche, qui comprenait un bon nombre d’indigènes parmi lesquels figuraient des membres des familles royales à côté des propres esclaves de Lat-Dior. Il leur opposa une noble résistance qui ne dura cependant que peu de temps. Car il succomba à ses blessures et tomba de son cheval raide mort. Sans jamais reculer de sa position, il avançait avec l’intention de subir le martyr comme il l’avait dit quand il attaquait ses ennemis près du puits de Dekkëlë un mercredi de l’an 1300 H. Il fut enterré dans le cimetière de Dekkëlë. Observons qu’il lui aurait été facile de leur échapper. Mais sa foi dans le destin et son honneur s’y refusaient. Que Dieu ait pitié de Lui !

Khadimrassoul.net

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