Le second incident eut lieu sur la plage de Mayoumba : un projet avait été élaboré pour fusiller le Cheikh mais les soldats y auraient renoncé, saisis de peur devant l’apparition d’anges montés sur des chevaux. Plus tard, le Cheikh révéla que les compagnons du prophète étaient venus lui porter secours.
Après cinq ans d’une existence dont les périls, l’insalubrité et les privations ne semblaient avoir aucun effet sur lui, l’administration l’envoya à Lambaréné, au nord du Gabon, dans un petit poste perdu dans la jungle équatoriale. Les témoignages du docteur Schweitzer et de ceux qui fréquentaient l’hôpital, où l’on soignait les lépreux et les victimes des maladies endémiques de la jungle, nous donnent une idée de ce qu’était Lambaréné à cette époque. C’était une forêt vierge recouvrant le sol de son manteau continu, interrompu seulement par des lacs et des cours d’eau aux bras nombreux.
Toutes ces épreuves ne firent qu’augmenter la piété du Cheikh et l’enrichirent d’une sublime expérience mystique qui lui inspira de magnifiques poèmes.
Ainsi, lorsque le Gouverneur Général lui « accorda la grâce » en aout 1902, il revint dans son pays intérieurement plus riche et plus grand qu’il n’en était parti.
C’est là que réside le véritable miracle du Cheikh, signe d’une sainteté qui lui permettait de vivre, non dans la douleur et les privations mais au dessus d’elle, de la sérénité la plus parfaite, non sur terre, mais en Dieu.
De retour au Sénégal, le Cheikh poursuivit l’éducation de ses disciples, Mais le nombre de ses disciples ne cessait de croitre et le développement fulgurant du Mouridisme demeurait une source d’inquiétudes pour les colonisateurs qui se sentaient menacés à terme. Les persécutions reprirent et le Cheikh fut à nouveau accusé de stocker du matériel de guerre à Darou Marnane, près de Touba.
Cette conviction, loin de reposer sur la moindre preuve, se fondait à nouveau sur une méconnaissance totale des œuvres, de la pensée et du genre de vie du Cheikh. On croyait par exemple qu’il était de la secte Quadriya et professait la doctrine Tidianiya qui prêche la guerre religieuse (erreurs qui justifiaient l’éloignement du marabout fanatique aux yeux du gouvernement colonial.)
C’est alors que les colonisateurs décidèrent de l’exiler en Mauritanie, où se trouvaient de grands hommes de Dieu connus des Sénégalais. Ils espéraient ainsi réduire le prestige du Cheikh Ahmadou Bamba, et par conséquent la ferveur et l’influence de foules auprès de lui. Pour calmer les esprits de ses fidèles et sympathisants qui s’étaient révoltés devant une telle injustice, le Cheikh déclara : « Je ne fonde pas mes espoirs sur le soutien d’un ami, ni ne crains l’agression d’un ennemi : je me suis entièrement confié à Dieu ».
Serigne Khadim Gaydel Lô